Lettres à...

Piò

Initié(e)
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29 Juin 2024
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...quelqu'un qui ne recevra pas.
Messages fusionnés :

À C.
12/07/2024


Bien joué, le coup de la visite impromptue.
Comment si tu n'étais pas le moins du monde en injonction d'éloignement.
Tu sais très bien ce que cela me fait de te revoir. Et si j'étais dans l'allée quand tu arrivais ? Sans un endroit pour me rejeter, me dissimuler à ta vue ? Est-ce que tu penses aux conséquences de ton geste - bien sûr que nous, nous n'en serions pas là.
Peux-tu imaginer si tu avais eu affaire à moi en personne ? Tu aurais court-circuité mon cerveau.
Que je ne dorme pas la nuit, tu t'en moques.
Que je mette six mois à étouffer le son de ta voix, tu t'en moques.
Il te fallait être sûr de ton pouvoir, de ta victoire, tu te devais de vérifier que je connaissais toujours le bruit de tes pas.
Tu es content, tu as pu voir que je suis toujours là, que je n'en bouge pas, des fois que j'ose vivre ma vie au niveau de mon âge et de mes moyens.
On ne sait jamais quel affront je pourrais te causer !
Heureusement pour toi, ce n'est "que" les garçons qui t'ont réceptionné.
Et quand bien même il n'y aurait eu personne - ce que tu espérais. À quoi t'attendais-tu ? À ce que je t'invite à entrer ? À ce que je passe l'éponge sur ce qui est arrivé ?
Je suis une boule de nerfs, une épave nerveuse, il n'y a aucun moyen qu'une telle conversation se passe bien.
Et tu as l'audace de l'amener elle, elle qui a témoigné dans ton sens, avec toi.
Bien oui. Des fois que je ne te "diffame" n'est-ce pas ?
En fait, je ne serais jamais libre.
Où que j'aille, où que je me tourne, il y a la trace de tes griffes sur les choses qui demeurent.
Il faut tout de même rouler, et rouler, et rouler, connaître les déviations, les routes de campagne, et prendre toute la montée, rouler toujours, prendre l'embranchement vers un cul-de-sac.
Tu ne passais pas là "par hasard", tu me crois donc si stupide que tu ne te donnes même pas la peine d'inventer une histoire plausible ?
Et elle ? Elle s'est levée en se disant qu'elle n'avait jamais vu d'arbres de près ? Ou bien avait-tu une excuse toute prête pour ton petit voyage ?
Je n'ouvre jamais tes e-mails, je ne risque guère d'y répondre. Ce n'est pas bien malin de venir me reprocher une réponse "manquant de respect". Manquant d'existence, ah bien oui, ça je veux bien l'admettre.
Si tu n'avais pas de mauvaises intentions, ta présente seule est un non-sens. Pourquoi venir ?
Les poignées des fenêtres manipulées, ça aussi je l'imagine ?
Tu n'aurais jamais ouvert pour entrer ? Bien non, tu n'en avais pas besoin, tu as franchi la clôture, les garçons ont relevé derrière toi ce qui s'est affaissé.
Je suis épuisé de cette lutte lamentable.
 
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Piò

Initié(e)
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29 Juin 2024
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(TW; décès.)

À Mr E.
13/07/2024


J'ai refusé de comparaître aux remerciements.
J'ai échoué, je ne le sais que trop bien.
Je préfère rendre ma visite à la veillée, comme tout un chacun, sans me démarquer.

Lundi, je me dois de vous accompagner, ne serait-ce que de loin.

Vous qui êtes père, voilà que je vous amène votre enfant chéri.
Vous allez me demander pourquoi.
Vous allez me demander comment.
Vous allez me demander quand.
Vous allez me demander si votre fils a eu le temps de dire quelque chose, s'il avait froid, s'il avait peur.

Je sais bien qu'un parent ne veut pas entendre, dans sa douleur, que quand l'heure est là il n'y a nulle cachette assez sûre au monde, nul bras assez fort pour retenir la machine en marche.
Je suis tellement, tellement désolé de n'être pas arrivé à temps.

Comme à chaque échec, je me repasse sans cesse le déroulé des évènements.
Toutes ces questions désormais surchargées d'amertume.
Où ai-je perdu de précieuses secondes, synonymes de vie ?
Si la voiture n'avait pas forcé le passage au sens giratoire ? Ne connaissent-ils pas leur code routier ? J'ai branché les sirènes. Qu'est-ce qu'il peut y avoir de plus urgent... qu'une urgence ?

Est-ce que si je n'étais pas autant inquiet de laisser la maison... je serais arrivé bien plus rapidement ?
Est-ce que ma hantise a pu se jouer de moi, retenir mon pied sur l'embrayage ?
Et si j'avais plutôt coupé court par les accès des de B... ? Oui, mais le portail était fermé ce jour-là.
Pourquoi est-ce que je n'ai pas été assez rapide ?

Et c'est si difficile de reprendre par la suite quand ça s'arrête pour d'autres.
 
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Piò

Initié(e)
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29 Juin 2024
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À C.
17/07/2024


Et la porte, est-elle fermée ?
Je sais que je viens de tirer le verrou ; je parviens toutefois à me persuader du contraire. De là où je suis, tout me semble menaçant, hostile.
C'est pourquoi je dors avec la lumière allumée.
Je touche la porte, une, deux fois. Je m'en reviens. Je vais aux fenêtres. Je suis tout de même au troisième étage ; qu'est-ce que je redoute ?
"L'échafaudage" a considérablement fondu. Autrefois, je traînais mon écritoire, ma petite table, et même le fauteuil, je calais naïvement tout cela contre ma lourde porte verrouillée.
Désormais, je ne peux pas m'empêcher de déplacer une chaise ou un lampion, de manière à entendre le heurt de la porte qui s'ouvre.
Il faut tout de même arriver jusqu'au matin.
Il faut fermer les yeux et ne plus penser à rien.
Ne plus penser aux mots, aux regards, à ces sentiments détestables.
Les mêmes questions qui reviennent, dans l'espoir que je fasse un faux-pas.
Je ne peux pas vous faire entrer, disais-je, le chat va sortir, il n'est pas bien, il vomit.
Et parfois cela fonctionnait ; et parfois, non.
Je continue d'entendre le son de sa respiration.
Je suis si fatigué de veiller.
Pourquoi est-ce que tu ne dors jamais le premier ?
 
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Piò

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29 Juin 2024
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Note à moi-même.
18/07/2024


J'ai l'impression de marcher à reculons.
J'étends le bras devant moi, croyant toucher ce mur qui semble m'entourer.
Voilà que je me trouve comme dans un puits, sombre et humide, avec l'oeil narquois de la lune me contemplant.
 

Piò

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(TW; suicide.)
Lettre à M.
8/07/2024

M.
Je vais te parler un peu de moi, si tu ne souhaites pas parler de toi présentement.
J'écris d'un trait, je ne corrige rien, libre à toi de m'ignorer ou de me lire.

Ma mère provient d'un milieu aisé, mais qui s'est construit à la sueur de son front, si tu vois ce que je veux dire. Notre famille n'était pas des hypocrites mais des gens simples, paysans bombés, légèrement petit-bourgeois peut-être.
Ma mère a été couvée, adorée par ses parents. La seule fille au milieu des garçons, elle n'a pas eu de difficultés particulières, elle n'a pas eu à travailler aussi durement, et cela a émoussé son sens responsable. Il lui fallait ce qu'elle convoitait, quitte à perdre ses amies et le respect des autres.
Elle était le vilain petit canard car n'embrassant pas les valeurs simples mais sincères de notre famille, ni les traditions rigides d'une famille très, très traditionnelle et élitiste dans laquelle elle allait se marier.
Cela ne s'est finalement pas fait, et elle a commencé à "mal tourner".
Elle s'est introduite, d'appui en appui, jusqu'à mon géniteur, il le lui fallait, même marié avec des enfants, il n'était que le dernier d'une liste de trophées.
Mon géniteur a un travail et un rôle très important au sein de la sphère politique, je ne vais pas parler de lui, même parler de son cabinet suffit à rompre ma promesse.

Je sais que je suis un être inutile. Je l'ai toujours été.
Je n'étais pas un enfant voulu, mais un accident.
J'ai été "gardé" et mis au monde comme une sauvegarde de ma mère envers mon géniteur, elle escomptait récupérer des titres et de l'argent ou, mieux, se faire épouser et "virer" la première femme de mon géniteur. Il y a plus à dire mais ce n'est pas le moment.
Et ça n'a pas fonctionné.

J'ai tout fait pour être son enfant idéal.
J'étais muet, sage, je ne demandais rien pour moi, même pas qu'elle me regarde.
J'étudiais beaucoup, j'ose dire que j'excellais, je voulais rendre mes parents fiers de moi, l'erreur, le boulet dans leur vie dorée.
J'acceptais tout, les cris, les injures, les moqueries, les blessures.

J'ai échoué.
Je faisais des crises "de démence" (autisme, mais à l'époque elle ne m'emmenait pas voir qui de droit pour me faire aider, je pleurais ou je grondais tout seul, je me tenais contre un mur, je m'arrachais la peau).
Je n'étais pas assez "masculin".
Je n'étais pas assez, tout court.

Mon géniteur s'est lassé de moi sans même me fréquenter, d'elle qui lui cassait la tête avec des demandes compliquées vis-à-vis de son travail dans les ambassades et de la discrétion requise dans une "affaire" entre un homme marié et une femme libre.

En 2015, ma mère m'a posé un ultimatum, l'aider à reconquérir ce qu'elle avait perdu en s'entravant avec moi, ou disparaître définitivement hors de sa vue.
J'ai dis oui à tout. Je voulais la rendre heureuse. Elle a souscrit une assurance-vie. J'ai tenu les mois réglementaires et j'ai pris ma propre vie pour qu'elle en touche l'argent, pour qu'enfin elle retrouve son train de vie fastueux.
J'avais onze ans.
Elle est venue me chercher à l'internat, elle m'a embrassé pour la première fois de ma vie ce soir-là, avant de me laisser seul en face de mon matériel.

Quelqu'un est venu pour moi, comme nous-mêmes essayons pour toi.
J'ai été adopté par mes grands-parents à l'âge de douze ans.
Je n'ai eu de cesse de me débattre contre le bien qu'on me faisait malgré moi, notion étrangère à mes sens diminués.
Aujourd'hui, je n'ai pas assez d'une vie pour rendre aux autres ce qui m'a été donné avec tant de bonté.
Je te laisse réfléchir à tout le merveilleux temps qu'il te reste à profiter, contre les mauvais et durs moments que tu vaincras, qui sont bien brefs sur toute une existence.

Bien à toi,
Pio.