Je m'appelle Louis, j'ai 23 ans, et je suis paumé. Y-a-t-il des gens paumés comme moi ? Plus tard j'aimerais être sociologue, j'aimerais aussi travailler dans la fonction publique territoriale. J'aimerais aller en Suisse, en Belgique, contempler la brume merveilleuse des Ardennes, le lac Léman, si lisse, touchant, à fleur de peau. Cela fait plus de dix ans que, comme Mairy, je me bats contre des troubles obsessionnels-compulsifs et des épisodes dépressifs. Cette guerre, elle était impitoyable, c'était le génocide des espoirs et des douceurs. Mais aujourd'hui, la guerre s'achève, comme toute guerre, et je me sens anéanti. Anéanti par le vide laissé par...les bruits de canons. Là, un corbeau et un moineau émettent des couinements au loin, et me proposent de danser avec eux. "Episodes dépressifs caractérisés", mais pourquoi? Pour apprendre du passé, il faut plonger loin, et dans ce "loin", il y a des choses qu'on préfère laisser à l'autre bout de l'univers sensible, tel du magma virevoltant et hors de contrôle. J'écris ici parce que la Guerre, la Der Des Der, elle se finit. Et elle laisse mon continent exsangue. C'est quoi la vie? Je m'appelle Louis, j'ai 23 ans, une oreille droite irritée, un boulot dans l'accueil, une licence fracturée, à cause de choses futiles, à cause de choses éperdues
Au loin, des champs s'étendant à perte de vue. Un crépuscule magnifique jaillit, et un soleil immémorial me touche du fond du coeur. La vie, dans sa splendeur présumée. Banlieue parisienne bourgeoise, de jolies villas, un RER qui déchire l'air en trombe. Je ne suis pas Là mais j'y suis malgré tout : il fait froid, il fait argenté, gris, bleu, et le vent métropolitain déjanté me hante tout comme il me berce. Ca me rappelle cette erreur que j'ai commis avec lui, il avait pris de la drogue, je ne sais plus laquelle exactement, et je l'ai laissé là. Je m'en suis tellement voulu, j'espère qu'il m'aime encore, enfin bref, je me disperse. Je suis passionné de philosophie libérale et libertarienne. Depuis que je lis ce livre, je rêve d'être enseignant-chercheur, mais j'ai massacré à moitié ma licence, est-ce que je serais pris? Ca n'a peut-être pas d'importance, c'est juste que l'incertitude me pèse. J'ai toujours renié l'incertitude, comme si c'était une mauvaise progéniture. Et si telle catastrophe advenait? Et si, et si? Quel bordel. Bref, je m'égare
Je rêve de travailler sur le libéralisme, le libertarianisme, mais j'ai l'impression d'être inculte et de ne pas maîtriser le langage philosophique, et ça me paraît tant ridicule...mais je me dis, tu vas vivre, tu vas vivre après avoir crevé dix ans. Heureusement ton enfance n'a pas été anéantie par le Vorace, mais c'est quand même dix ans de troubles mentaux, non? Enfin je veux dire...une guerre reste une guerre, et les cicatrices, les égratignures, elles sont tenaces, et la violence, la brutalité, l'ignominie, l'humanité monstrueuse de tels troubles, comment cela a pu arriver? Comme le disaient ceux de la Der Des Der, "plus jamais ça". Moi aussi