Le cochon et la tortue, ou Pourquoi les cochons fouillent la terre avec leur groin

BlackStar

Sage
Auteur du topic
17 Juil 2024
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Il était une fois, il y a bien longtemps, dans un village douala, des animaux et des hommes qui vivaient tous ensemble en parfaite harmonie.

La saison sèche s'était installée depuis quelques semaines. Nul ne s'attendait à une telle sécheresse et la famine commençait à se faire ressentir dans le village : les rivières se tarissaient et les poissons avaient tous disparu, les champs étaient devenus si secs que la terre se craquelait et plus rien ne poussait, même les mauvaises herbes. Les hommes et les animaux durent se résoudre à quitter le village afin de chercher à manger plus loin, dans les terres avoisinantes.

En quelques jours, pratiquement tout le monde avait délaissé le village, sauf la famille Tortue qui n'avait pas le coeur à quitter son domicile, ainsi que le cochon et sa femme, qui parvenaient encore à dénicher de quoi manger dans la déchetterie : ils trouvaient toujours de quoi se nourrir et leur case ne désemplissait jamais de nourriture. Les cochons ne se plaignaient de rien et commençaient même à prendre un peu d'embonpoint.

Les deux familles étaient heureuses ainsi, mais la nourriture se faisait de plus en plus rare chez les tortues ; c'est pourquoi, un soir, Monsieur Tortue vint trouver le cochon. Il frappa à sa porte et lui demanda s'il accepterait de lui donner un peu de farine afin de nourrir ses enfants, car ils sont très nombreux, ainsi que sa femme. Le cochon hésita, mais la tortue, qui savait se montrer très convaincante lui dit :
– Tu sais, je te rendrai ta farine à la venue de la nouvelle saison, je te le promets.
Le cochon avait bon coeur. Il s'arrêta de grogner et écouta attentivement la tortue qui le suppliait de lui venir en aide, et accepta de lui prêter de la farine. Il en garda de côté suffisamment pour subvenir aux besoins de sa famille jusqu'à la fin de la saison sèche, et donna le reste à la tortue.

Les jours passèrent. La saison sèche finit par s'achever et par laisser la place à la saison des pluies. Les villageois revinrent progressivement un à un, ainsi que tous les animaux. Les plantes se remirent à pousser, les rivières à couler, et la vie reprit son cours habituel.

Monsieur Tortue prit la bonne résolution de cultiver du blé et du maïs, afin de ne plus jamais se retrouver dans la même situation que la saison précédente. À la fin de la saison des pluies, sa récolte était particulièrement abondante, à tel point que tout le monde ne parlait plus que de cela dans le village.

Monsieur Tortue avait décidé de conserver l'intégralité de son énorme récolte pour la prochaine saison sèche, sans même se soucier de rendre au cochon la farine qu'il lui avait gentiment prêtée.

Les semaines s'écoulèrent. Le cochon s'étonnait que Monsieur Tortue n'eut toujours pas donné signe de vie pour lui rembourser ses dettes. Il finit par se rendre au domicile des tortues afin de réclamer son dû. Seule Madame Tortue était là. Elle lui répondit sèchement qu'elle ne voulait pas se mêler des affaires de son mari.

Le cochon fut quelque peu choqué par la réponse de l'épouse de Monsieur Tortue. Quelques jours plus tard, il croisa sur le chemin qui mène à la rivière les enfants tortues. Il en profita pour leur demander où était leur papa, mais ces derniers répondirent en coeur, comme s'ils récitaient une consigne qu'on leur avait apprise : « Si vous croisez le cochon, répondez-lui que je suis allé chez votre tante lui porter secours, car elle est très malade ».

Étonné, le cochon leur demanda depuis combien de temps leur père était parti, et les enfants se regardèrent embarrassés : « Euhh »… L'un répondit : « Deux jours », l'autre : « Trois jours », le troisième : « Une semaine ». Devant tant d'hésitations et d'incertitude, le cochon comprit que le mensonge des enfants étaient une ruse de leur papa qui faisait tout son possible pour se défiler et éviter de le rencontrer… « Alors comme ça il est parti deux jours ? » insista-t-il. « Oui, deux jours », répondirent en chœur les enfants.

La semaine suivante, le cochon, passablement énervé, décida de se rendre une nouvelle fois au domicile de la famille des tortues. Il trouva les enfants qui jouaient paisiblement dans la cour. Il eut à peine le temps de leur dire « bonjour » que les enfants répondirent :
– Papa dort profondément, et il ne supporte pas qu'on le réveille en plein sommeil.
L'aîné ajouta :
– Celui qui a le malheur de réveiller mon papa en plein sommeil risque de se prendre une grosse gifle, mais revenez demain, je ne manquerai pas de lui dire que vous êtes passé. Au revoir, Monsieur Cochon.

Sur le chemin du retour, le cochon croisa Madame Tortue en train de faire le kongossa avec une de ses copines.
– Où est votre mari ? lui demanda sèchement le cochon. Cela fait un moment que je ne l'ai pas vu.
– Il est en voyage et ne rentrera certainement pas avant la fin de la semaine prochaine, répondit Madame Tortue.

Le cochon nota que la version de la femme et celle des enfants ne correspondaient pas, et que de toute évidence, on se fichait de lui. Il retourna chez lui et expliqua sa mésaventure à sa femme, puis décida de retourner chez les tortues à l'improviste.

Le soir venu, à la tombée de la nuit, après une pluie torrentielle, Madame Tortue était en train de préparer le dîner et d'écraser des grains de maïs sur une pierre. En cuisinant, elle aperçut le cochon arriver d'un pas pressant. Elle lâcha vite son maïs et alla prévenir son époux qui se prélassait dans la pièce à côté :
– Qu'allons-nous faire maintenant ? Et qu'allons-nous lui dire ?
– J'ai une superbe idée, lui répondit son mari. Je vais me recroqueviller dans ma carapace, tu poseras des graines de maïs sur moi et me les écrasera dessus. Le cochon n'y verra que du feu.

Madame Tortue retourna rapidement à la cuisine, déplaça la vraie pierre, déposa à sa place son mari, et se remit à écraser du maïs sur sa carapace comme si de rien n'était. Monsieur Tortue avait mal, très mal au dos, mais il ne pouvait rien dire pour ne pas éveiller les soupçons du cochon, qui venait d'entrer.
– Bonjour madame, votre mari est-il là ?
– Non, je vous ai dit tantôt qu'il ne sera de retour qu'à la fin de la semaine prochaine.
– Mais pour qui se prend votre mari ? Qu'il aille au diable avec ses récoltes, ses voyages… Moi qui lui ai offert ma farine quand la misère frappait à sa porte, aujourd'hui il me fuit, il se cache. Ton mari est répugnant, il est ingrat et sans scrupule. Il me dégoûte.

Puis le cochon se mit dans une énorme colère. Il se mit à crier et à chercher dans toute la maison, car il était certain que la tortue s'y cachait, quelque part. Comme il ne trouvait personne, sa colère monta encore d'un cran. Il se mit à casser tout se qu'il trouvait à sa portée. Dans la cuisine, il arracha la « pierre » sur laquelle Madame Tortue faisait à manger et la lança violemment à travers la fenêtre. La « pierre » qui n'était autre que Monsieur Tortue retomba quelques mètres plus loin dans la boue.
– Au moins, ce soir, vous ne mangerez pas, cria-t-il, puis il sortit et rentra chez lui.

Le cochon parti, Monsieur Tortue sortit de la boue et se releva tant bien que mal. Il alla se baigner dans la rivière afin de se nettoyer, puis se rendit ensuite chez le cochon :
– Bonjour mon ami, on m'a dit que tu me cherches depuis longtemps ?
– C'est exact, répondit le cochon, et à chaque fois on me dit que tu n'es pas là.
– J'avais des soucis familiaux, mais tout est rentré dans l'ordre maintenant.
– Je suis heureux pour toi
– Alors tu me cherchais pour quelle raison ?
– C'était pour que tu me rendes la farine que je t'avais prêtée lors de la dernière saison sèche. En plus, tout le monde dit que tes récoltes sont particulièrement abondantes cette année.
– Tu sais, cochon, je t'avais promis de te rendre ta farine, mais tout à l'heure en arrivant chez moi, j'ai trouvé mes enfants en pleurs parce que tu as jeté dans la boue la pierre sur laquelle mon épouse écrase la farine. Nous avons cherché partout dans la boue mais n'avons pas retrouvé la pierre... Mon ami, que t'est-il passé par la tête, tu sais très bien que c'est sur cette pierre que ma femme prépare des repas copieux. Avec tes bêtises, nous n'avons plus rien pour faire de la farine.

Le cochon se trouva alors tout bête et ne sut que répondre.
– Moi je suis tout disposé à te rendre ta farine le plus rapidement possible, mais il faut d'abord que tu retrouves la pierre de ma femme que tu as jetée dans la boue.
– Très bien, je viendrai chercher la pierre de ta femme, répondit le cochon manifestement désolé.

Le lendemain, le cochon était près de la maison des tortues. Il se mit à fouiller dans la boue, partout autour de la maison, dans l'espoir de retrouver la pierre, mais en vain…

C'est depuis ce jour que les cochons ont pris goût à vivre dans la boue et qu'ils passent leurs journées à fouiller la terre avec leur groin.

Conte douala tiré du livre "Contes et légendes du Cameroun"
 
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yul4n

Initié(e)
9 Juil 2024
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Ahaha, drôle d'interprétation !
C'est meugnonnn, mais pauv'cochon...
 
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